Notre laboratoire utilise des approches phylo-génomiques (Hyb-seq, RADseq), de génomique des populations (reséquençage) et l’assemblage de génomes complets comme outils pour résoudre les problèmes phylogénétiques les plus récalcitrants, évaluer l’importance de l’hybridation en nature, déterminer l’importance des barrières reproductives entre espèces, et pour mieux comprendre les bases génétiques de l’évolution parallèle.
Évolution parallèle des supergènes de l’hétérostylie
En collaboration avec le laboratoire de la Prof. Elena Conti (Université de Zürich), nous avons assemblé quatre génomes de haute qualité pour étudier l’évolution convergente de l’hétérostylie.
L’hétérostylie est un des meilleurs exemples d’évolution parallèle chez les plantes à fleurs. Ce polymorphisme floral s’observe dans 28 familles de plantes (Naiki, 2012) et se caractérise par la présence, au sein d’une même population, d’individus qui diffèrent dans la position de leurs organes sexuels. Les organes femelle (stigmate) et mâles (anthères) sont séparés spatialement, empêchant l’auto-pollinisation. Toutefois, le stigmate de chaque morphe est dans la même position que les anthères de l’autre morphe, facilitant la pollinisation entre morphes. Ce polymorphisme est souvent associé à un système d’auto-incompatibilité qui assure la pollinisation croisée.
L’action concertée de plusieurs gènes est nécessaire pour produire les différents composantes de l’hétérostylie (position des organes, auto-incompatibilité). Ces gènes sont donc amalgamés en un « supergène » hérité d’un seul bloc, un peu à la manière de chromosomes sexuels. Des études récentes ont permis de révéler la structure génétique du supergène de l’hétérostylie chez les primevères (Primula, Primulacées), le modèle le mieux étudié. Dans ce genre, l’hétérostylie est contrôlée par un supergène de 455 kpb comprenant 6 gènes, présent en une copie chez une morphe (thrum) et complètement absent de l’autre (pin).
Deux autres lignées de Primulacées (Androsace vitaliana, Hottonia palustris) ont évoluées de façon indépendante des fleurs hétérostyles. Nos études visent à répondre à ces questions:
(1) Qu’est-ce qui contrôle l’hétérostylie chez Androsace et Hottonia?
(2) Comment les supergènes de l’hétérostylie, avec leur architecture si particulière, ont évolués?
(3) Est-ce que l’évolution parallèle au niveau phénotypique s’accompagne de convergence au niveau génétique (recrutement des mêmes gènes)?
Nous avons utilisé une combinaison de méthodes (Illumina, Nanopore, HiC) pour séquencer les génomes de 4 espèces d’Androsace et les assembler en chromosomes complets. Les espèces ont été sélectionnées pour représenter deux hors-groupes homostyles (Androsace septentrionalis, A. wulfeniana) et les deux morphes de l’espèce hétérostyle (A. vitaliana). Androsace vitaliana et son plus proche parent, A. wulfeniana, sont tétraploïdes.
Des individus des deux morphes florales (pin et thrum) d’Androsace vitaliana ont été séquencées dans plusieurs populations. La différenciation génétique entre les populations est plus élevée qu’entre les morphes dans presque toutes les régions du génome, sauf pour une petite région. Cette région est toujours présente à l’état hétérozygote chez les thrums, et forme un grand bloc qui n’est apparemment jamais affecté par la recombinaison génétique. Nous pouvons donc affirmer qu’il s’agit du supergène de l’hétérostylie d’Androsace vitaliana. Nous sommes présentement en train de caractériser la structure et la composition de cette région.